Comment les femmes luttaient contre les violences machistes dans l’ancienne Russie

Paysanne par Philippe Maliavine

Paysanne par Philippe Maliavine

Musée Ilia Machkov/Domaine public
Dans l’ancienne Russie, il était non seulement permis, mais considéré comme normal de battre sa femme après une faute ou afin de lui «donner une leçon». Les femmes devaient donc chercher à se protéger lorsque leurs époux portaient atteinte à leur intégrité physique, ce qui n’avait rien de simple.

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En 1647, une femme du nom d’Avdotia a dénoncé son mari Nikolaï : « Il m’a, pauvre hère, enchaînée par les jambes et attachée [à une poutre du plafond], torturée et battue, je suis restée suspendue une journée ». Les violences contre les femmes n'étaient pas rares dans l’ancienne Russie. Concernant la façon d’infliger « correctement » les punitions, il y avait une instruction spéciale dans le Domostroï, un célèbre recueil d'enseignements du XVIIe siècle destiné à la noblesse russe : « Punissez en privé, mais après avoir châtié, parlez, pardonnez et aimez-la ».

Leçon de morale ou coups mortels

La violence domestique prospérait dans la Rus’. Hélas, dans l'Europe de l'époque, comme le rapporte l'historienne Nada Boskovska, la littérature éducative recommandait aux maris de « punir » les femmes et « de leur donner une leçon ».

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La plupart des cas de violence domestique se produisaient en état d’ébriété. Par exemple, un ataman (chef cosaque) d'Ousman a mis sa femme nue dans des orties et l’a attelée à sa charrue. Le médecin du tsar Alexis Ier Samuel Collins mentionne quant à lui un prêtre qui a battu sa femme avec un fouet, puis lui a enfilé une robe imbibée de vodka avant d’y mettre le feu. Un autre prêtre a enchaîné sa femme et infligé des brûlures sur son corps avec un tisonnier incandescent.

Les meurtres et suicides de femmes dus à la violence domestique étaient monnaie courante, selon diverses sources. Cependant, personne ne punissait vraiment l'auteur de violences et de meurtres, surtout si la femme n'avait pas de famille pour la défendre ou si l'Église n’intervenait pas.

Cependant, même dans de tels cas, le tribunal et l'Église décidaient le plus souvent de renvoyer la femme battue et maltraitée à son mari. Comment pouvaient-elles résister à cela ?

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Selon les lois civiles et ecclésiastiques russes, un mari pouvait « donner une leçon » à sa femme, mais il ne devait pas le faire « par méchanceté », la torturer et la menacer de mort. Selon les concepts russes en vigueur à l’époque, « donner une leçon » consistait à donner « simplement » quelques coups, tandis que les passages à tabac « insupportables » et les coups « visant à tuer » étaient considérés comme un crime.

Si une femme estimait que son mari essayait de la tuer, elle déposait une plainte auprès du tribunal : le nombre de telles plaintes dans les sources historiques est énorme. Les femmes parlaient généralement elles-mêmes au tribunal ou étaient représentées par des parents masculins.

Les solutions pour échapper aux violences

Tout d'abord, un mari n’osait souvent pas lever la main sur une femme dont le père ou les frères étaient vivants, surtout s'ils étaient riches et puissants. Il était facile de tuer une personne dans la Russie avant Pierre le Grand, en particulier si vous déteniez une once de pouvoir. Comment les femmes survivaient-elles si elles n’avaient pas de protecteurs influents ?

La fuite. Le plus souvent, elles s'enfuyaient dans leur famille pour solliciter personnellement des proches et rédiger une plainte contre leur mari. Dans ce cas, on écrivait que le mari attentait à la vie de sa femme, ce qui était reconnu comme un motif officiel de divorce et de procès. Cependant, en 1646, la femme d'un noble de Poutivl s’est enfuie à l'étranger, en Lituanie, abandonnant sa mère et ses enfants, et n’est revenue que lorsqu'elle eut appris la mort de son mari.

Religieuses, début du XXe siècle

Entrer au monastère. Demander la protection de l'évêque, de l'higoumène et de la communauté monastique en général, et en particulier des communautés religieuses féminines, était une méthode très efficace. De nombreuses femmes qui avaient fui les violences domestiques vivaient dans des monastères, côtoyant des femmes tonsurées de force par leurs maris nobles désireux d'en épouser une autre. En un mot, la dureté de la condition des femmes de l’époque s’illustrait de façon plus palpable qu’ailleurs dans les couvents.

Écho. L'ivresse et ses conséquences par D.G. Boulgakovski. Album illustré de scènes quotidiennes de la vie de personnes vouées à l'ivresse

Accuser son mari de crime d'État. Il était possible d'utiliser des moyens plus perfides contre un mari violent - une femme pouvait par exemple déclarer que son époux complotait pour tuer le tsar ou s'enfuir à l'étranger. Une telle accusation, même pour une personne innocente, aboutissait très souvent à la mort à la suite de tortures dans un cachot de Moscou. Mais il était important d’étayer de telles accusations ; par exemple en préparant de fausses lettres ou en trouvant un témoin qui, lui aussi soumis à la question, affirmerait également que le mari voulait fuir à l'étranger. Dans le cas contraire, la peine de mort attendait la menteuse et tous ceux qui avaient signé son témoignage.

Un procès équitable. Cette option n'était possible que si la femme avait de l’argent en sa possession (par exemple, un héritage de son père, qui était considéré comme inviolable et n'appartenait pas à son mari), de parents ou d’amis influents. Sans cela, le tribunal tranchait généralement en faveur du mari.

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Le meurtre du mari. Les femmes les plus désespérées décidaient d'éliminer leur bourreau. L'homicide prémédité était puni de la peine de mort en étant enterré vivant, de sorte que les femmes essayaient de plaider la non-préméditation. En 1629, Agrafena Bobrovskaïa, de Mtsensk, a tué son mari endormi avec un sabre. Devant la justice, elle a indiqué qu'elle « avait frappé sans intention, sans l'aimer » - une contradiction évidente. Agrafena a insisté sur le fait qu'il n'y avait pas eu de préméditation car elle souffrait d'épilepsie (cependant, les voisins ont témoigné qu'elle n'avait jamais présenté une telle maladie auparavant). Nous ignorons comment l'affaire s’est terminée.

Dans la ville de Kozlov en 1647, selon Nada Boskovska, Akoulina et son gendre Sergueï ont été placés sous surveillance ; ils avaient tué le mari d'Akoulina, le noble Artemi Koutchenev, et jeté le cadavre dans la rivière. Le fils de l'homme assassiné a dénoncé sa belle-mère et cette dernière a indiqué dans son témoignage qu'Artemi avait violé sa fille de huit ans issue d’un premier mariage. Par la suite, Akoulina avait appris qu'Artemi avait assassiné ses deux premières femmes et perverti des enfants, et avait donc décidé de tuer ce monstre. Le dénouement de l'affaire est également inconnu.

Les hommes aussi

Ne pensez pas que les femmes ne battaient et ne tuaient pas leurs maris. La violence domestique à l'égard des hommes existait également, même si ces cas étaient très minoritaires.

Le meurtre d'un mari pouvait être mis en scène afin de s'emparer légalement de ses biens, qui revenaient à la veuve. En 1625, l'épouse de Dmitri Eremeïev, un habitant de Beloozero, a tenté de le poignarder au bania (sauna russe) avec un couteau, puis de l’assassiner avec un pieu en bois, mais il a survécu les deux fois. Lors du procès, la femme s'est excusée en disant qu'elle était « folle » et a reçu pour châtiment des coups de fouet.

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Un archer d'Oustioug a de son côté rapporté que sa femme avait tenté de l'étrangler dans son sommeil et avait ensuite menacé de le tuer en recourant à la sorcellerie. La femme d'un peintre d'icônes de Koursk a chargé trois hommes d'assassiner son mari dans son sommeil ; les assaillants ont été arrêtés. Cependant, les femmes qui désiraient être « veuves » recouraient souvent non pas au meurtre, mais à la calomnie : elles accusaient leurs maris de crimes d'État ou de sortilège, après avoir préalablement recueilli des « témoignages » et des « documents ».

Dans cette autre publication, découvrez comment vivaient les femmes célibataires en Russie tsariste.

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